Didier Goupy
Photographe
La poétique de la démesure
Sur le lieu de la prise de vue, pour transposer ce seul sentiment du vivant qui fut mon point de corrélation avec la forêt dans ma plus tendre enfance, j’observe les couleurs au point où progressivement je quitte ma vision d’adulte qui ne peut s’empêcher de mettre des noms aux choses pour ressentir de plus en plus intensément la sensation visuelle qui s’offre à ma vue et se résume au seul mouvement des couleurs entre elles et en ce sens seulement je procède à la manière d’un peintre. J’élabore ce diagramme pour éviter le cliché et corréler une vision subjective de l’enfance et un souhait objectif de l’adulte de comprendre la nature.
« Entrer en couleur » selon l’expression d’Aurélie Nemours me permets de neutraliser la notion de distance entre les plans et délocaliser le regard du spectateur.
Je cherche à créer une impression d’un partout-nulle part intemporel. Je cherche à recréer les conditions visuelles de mon propre espace-temps couleur, celui de mon enfance qui se résumait au seul mouvement des taches de couleurs. Le mouvement par la couleur sur l’espace plan de la photographie ayant pour seul but de créer une sensation visuelle du vivant qui est en réalité invisible au regard et où toute notion d’espace et de temps s’est comme évanouie
La magie de l’enfance
Entre 1995 et 2006, Didier Goupy réalisa plus de mille photographies de ses enfants dans leur maison de vacances, à Saint-Pierre-Quiberon, en Bretagne.
Cette série de cinquante-huit images est le fruit d’une sélection effectuée en collaboration avec Marie-Françoise Le Saux, conservatrice du Musée de Vannes, lors de l’édition de 2007 du Festival International de la Photo de Mer.
Pris sur le vif, ces clichés témoignent du désir du photographe de transfigurer, d’immortaliser la vitalité enfantine qu’il observe autour de lui. Cet intérêt qu’il porte à leurs jeux et à leurs personnes se veut également être un encouragement à la vie, à l’action.
Didier Goupy est un artiste-père pour qui la beauté, la matière artistique brute qu’il va lui falloir mettre en forme, est partout, tout-le-temps. Ces moments furent pour lui une communion : il faisait ce qu’il préfère, photographier ; avec ceux qu’il aime le plus, nous, ses enfants. Cette série n’est cependant ni mémorielle ni exclusivement intime. Elle ne contient pas seulement les fragments d’une époque.
Avec son Leica, Didier Goupy crée de la poésie : il produit une émotion et donc de l’art. Le charme de ces captations les affranchit du temps et de l’espace. Ce ne sont plus Jules, Victor et Augustin Goupy qui jouent ou se baignent en Bretagne au tout début du XXIe siècle mais trois fils, qui, peut-être, les incarnent tous, pour s’aimer et interagir dans un environnent immatériel : celui, magique, de l’enfance. Il émane de ces clichés un sentiment indifférencié, celui de la vie, ou de ce temps, si beau, qui précède l’existence rationnelle et consciente. Le photographe ne cherche pas à produire une trace nostalgique. Son travail est un hymne à la vie, à l’audace et à la liberté. Progressivement, soigneusement et discrètement, il fait participer ses enfants à une œuvre. L’amour peut-il produire quelque chose de plus grand ?
Parcours
Né en 1960 à Évreux, France. Vit et travaille à Paris
Didier Goupy réalise ses premières images au Maroc et les photographies qu’il réalise en Irlande 1984 et en Égypte 1985 sont immédiatement publiées dans Photo Magazine et Photo Reporter.
Il s’installe à Paris en 1986, devient photographe professionnel et commence une collaboration avec le groupe Bayard Presse.
Il rejoint l’agence Sygma en 1991.
C’est en Inde où il fera plusieurs voyages entre 1993 et 2001 que se révèle sa passion pour le portrait et la couleur. Il mènera plusieurs projets de front qui envisagent toujours la question « relationnelle » que ce soit dans les milieux de soins ou dans la réalisation de ces portraits dans le monde politique et dans l’univers des sciences.
En 2007 il intègre la maison de photographes « Signatures » avec laquelle il collabore pour la diffusion de ses archives photographiques.
Au printemps 2020, le confinement le contraint à cesser la réalisation de ses portraits et le hasard d’une situation le confine au bord de la forêt de Retz où il entreprend un travail tout à fait nouveau en son sein même entre mars et juin 2020. Cette expérience inattendue donne lieu à de vraies nouvelles images qui lui donnent la possibilité d’intégrer la galerie Esther Woerdehoff à l’automne 2020 et d’y faire une première exposition de la série Fondations dont 10 photographies réalisées en 2023 en Ecosse.
Depuis le confinement de 2020 le photographe a multiplié ses collaborations avec des galeries en Europe pour des expositions et la vente de ses tirages. Actuellement il mène simultanément deux séries qui constituent un seul projet nommée « Mythologies ».
La série Fondation est une transposition au plus proche de son expérience d’enfance au bord de la forêt d’Évreux où il est né dans la maison familiale de son grand-père. La série Odyssée est une recherche picturale en Islande principalement et ailleurs que dans la forêt mais qui suit exactement les mêmes règles de fabrication lors de la transposition à savoir l’élaboration d’un diagramme pour éviter tout clichés attendus et créer un « espace-temps » couleur (voir texte joint qui « raconte » comme proposé une histoire, ici la mienne).
Portrait d’une forêt
Sombre, bouchée, hostile, la forêt est impénétrable. Vous pensiez la connaître, mais quelque chose ici inquiète, fascine aussi, la densité des arbres peut-être, le fouillis des ronces, un excès qui pourrait décourager, ou alors cette étrange obscurité, irréelle, angoissante.
Le photographe s’enfonce dans la forêt, la respire, laissant remonter en lui des sensations de l’enfance. Jour après jour il interroge la puissance de ce qui se joue là, rend compte par l’image des vibrations enfouies. Tout a commencé dans la forêt de Retz, du côté de Villers-Cotterêts, s’est poursuivi à Fontainebleau, puis Valence en Espagne. Pourtant Didier Goupy n’a rien à dire sur la forêt, pas plus que sur un visage, une silhouette, un mouvement, pas moins non plus. Son projet n’a jamais été d’en répertorier les différences mais, pour un temps, de faire l’expérience magnifique des variations du vivant, de questionner la réalité, de vérifier sa propre place dans le concert bouleversant du monde. La forêt est devenue un personnage aux visages multiples, changeant. Comme toujours dans son travail, Didier Goupy s’installe dans son sujet, l’habite, l’interroge longuement, pour en saisir l’unité. Sa quête est au-delà de la technique.
Le photographe emprunte aux maîtres orientaux une discipline qui tend à « mettre le mental en contact avec la réalité ultime », recherche « un art sans artifice ». Cette expérience vertigineuse toujours recommencée devient chez lui, au fil des décennies, de plus en plus exigeante, radicale. Plus que jamais le corps tout entier est engagé dans l’acte de photographier. Le souffle régule le déclenchement de la prise de vue, c’est à cette condition d’absolue justesse que le mental se met au diapason de l’inconscient. Les Japonais appellent ce moment le satori, qui veut dire intuition, saisissant à la fois la totalité et l’individualité des choses.
Dans la forêt, Didier Goupy compose avec la graphie des arbres, les ombres colorées de verts profonds et de roses, fait remonter de la terre mouillée des bruns et des ocres, scintiller les reflets pointillistes des feuilles aux reflets d’or. De plus en plus l’image tend vers l’abstraction, gomme la frontière entre photographie et peinture, ouvrant ainsi des champs de liberté à l’interprétation. Une lumière rasante, et les arbres deviennent une armée en marche. Des reflets sur une branche tombée, c’est un animal qui surgit. Réelle ou inventée, la forêt parle à chacun d’entre nous. Tout à la fois refuge contre les dangers et lieu des peurs ancestrales, des sombres terreurs, elle génère des histoires fantastiques.
Au fil des saisons, des verts éclatants dilatent l’espace, des trouées de ciel bleu déclinées s’installent en une infinité de registres colorés. Les tapis d’herbes sèches, les mousses, sont autant de matières inscrites dans nos mémoires. Il faut se promener longuement dans les images de Didier Goupy, s’attarder, y revenir, la question du temps depuis toujours est en jeu dans son travail. Inlassablement il confronte la pensée des philosophes, explore le difficile chemin de l’oubli de soi, « ne pas laisser la pensée s’interposer entre soi et le geste ». Temps suspendu, temps d’éternité, c’est à cette condition que l’œuvre peut advenir.
Marie Françoise Le Saux Historienne de L’art Août 2021
Expositions personnelles
1993 Sâdhus, Projection, Visa Pour l’Image, Perpignan, France
2005 File indienne, Musée de la Compagnie des Indes, Port-Louis, France 2006 File Indienne, Tour Jean Sans Peur, Mois européen de la photographie, Paris, France
2007 Les Goupy à la mer, Musée des Beaux-Arts, Vannes, France
2009 Entre eux et moi, Le Kiosque Culturel, Vannes, France
2011 Metropolis, Projection, Rencontres d’Arles, France
2014 Rouge 3, Le Kiosque Culturel, Vannes, France
2016 Là…et peut-être ailleurs, Biennale des Bains numériques, Enghien-les- Bains, France
2020 Matières primaires, avec Jens Knigge, Galerie Esther Woerdehoff, Paris, France.
2021 Fondations, Art Paris, Stand de la Galerie Esther Woerdehoff
2022, Fondations, Galerie mhaata, Bruxelles, Belgique.
2022, Promontoires du Silence, galerie Square One, Arles, France.
2022, Fondations, Le Kiosque Culturel, Vannes, France.
2022-2023, Promontoires du Silence, Galerie Esther Woerdehoff, Genéve, Suisse
2023, Odyssée Islandaise, Galerie Square One, Arles, France.
2023, ArtParis, Galerie Esther Woerdehoff, Paris, France.
2023, Photobasel, Galerie Esther Woerdehoff, Bâle, Suisse.
2023, Promontoires du Silence, Château du Bosmelet, Val de Scie, France2023, Promontoires du Silence, Galerie Cécile Loiret, Vannes, France.
2023, Mythologies, Galerie mhaata, Bruxelles, Belgique.
2023- 2024 , Fondations , Galerie le Forum , Wien, Autriche.
2024, Arborescence, Galerie Cecile Loiret, Vannes, France.
2024, Artparis, Galerie Esther Woerdehoff, paris, France.
2024 Fondations, Gallery Mac Ewan, Ballater, Ecosse.
Exposition à venir
2025, Mythologies, Gallery Pula, Reykyavik, Islande.
Cet artiste a participé rue Paul Fort à :
> L’exposition « La poétique de la démesure », du 13 juin au 7 juillet 2024